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Multilinguisme et enjeux curriculaires

L'apprentissage est difficile lorsque les enfants entrent dans une salle de classe pour la première fois et entendent une langue qu'ils n'ont jamais rencontrée.
Mother Tongue Day

En cette Journée internationale de la langue maternelle célébrée sous la thématique « Éducation Multilingue : un pilier de l’apprentissage et de l’apprentissage intergénérationnel », il convient de rappeler que l’UNESCO a toujours souligné le rôle de l'éducation multilingue fondée sur la première langue ou langue maternelle. Dès 1953, l’UNESCO avait publié un rapport d’experts sur l’emploi des langues vernaculaires dans l’éducation et élabore en 2003 un document cadre sur « L’éducation dans un monde multilingue ».

L'apprentissage est difficile lorsque les enfants entrent dans une salle de classe pour la première fois et entendent une langue qu'ils n'ont probablement jamais rencontrée, ne parlent pas à la maison et n'ont presque aucune possibilité de pratiquer en dehors de ce contexte. D’après les études de l’Unesco, en Afrique huit enfants sur dix commencent l’école dans une langue autre que celle qu’ils parlent entre zéro et six ans. 

Dans le cadre stratégique de son mandat renouvelé 2021-25 et dans un processus dynamique de transformation des curricula, l’UNESCO-Bureau International d’Education (UNESCO-BIE) inscrit l’éducation multilingue dans ses priorités. De nombreuses recherches ont largement démontré l’amélioration du processus d’enseignement-apprentissage, basé sur la première langue de socialisation. Elle facilite aussi bien des interactions de qualité, la compréhension et le développement de la pensée critique que la confiance et l’estime de soi. 

Si la vision systémique d’un curriculum de l’éducation de la petite enfance jusqu’au niveau secondaire est au cœur même de la politique éducative d’un pays, il articule, de manière concrète et opérationnelle, la vision d’une société pour son avenir à travers la formation de ses futures générations. L’élaboration et la mise en œuvre d’une politique linguistique appropriée et transformatrice est requise pour produire des changements désirés, maîtrisés, profonds, pérennes au bénéfice de la qualité de l’éducation, de l’inclusion et d’une émergence socio-culturelle et économique. Notre expert, M. Adama Ouane, éclaire dans un plaidoyer l’importance de véhiculer une vision positive du multilinguisme comme une « normalité, un droit, une ressource naturelle, une richesse et non un problème, une situation conflictuelle, en donnant des chances de promotion à toutes les langues pour que les communautés linguistiques de droit puissent prendre part à la reconstruction socio-économiques de leurs pays, tout en étant ancrées dans leurs cultures et spécificités locales, ouvertes à la créativité et aux échanges ».

A travers des activités conçues, développées et mises en œuvre avec des experts internationaux et nationaux et en prenant en compte une grande diversité de contextes nationaux et locaux, l’UNESCO-BIE a accompagné les ministères de l’Education au Cameroun, Centrafrique, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée-Bissau et Haïti sur l’importance, la place et le rôle déterminant de l’éducation multilingue dans un cadre plus élargi d’un processus de transformation curriculaire réussie.  En Haïti, la transformation curriculaire accorde une grande importance au multilinguisme basé sur la langue maternelle, D’après son nouveau cadre d’orientation curriculaire, l’école haïtienne accueille l’enfant dans la langue commune à tous les Haïtiens, le créole Haïtien. C’est dans cette langue qu’il découvre le monde et accomplit ses premiers apprentissages. Le créole s’enseignera désormais jusqu’à la fin du secondaire. La Guinée-Bissau s’inspire des écoles bilingues au Burkina-Faso et des initiatives sénégalaises. A Madagascar, l’organisation d’un colloque international par l’Université d’Antananarivo en avril prochain adresse trois problématiques : celle des représentations aux pratiques linguistiques effectives, celle des langues et cultures dans les productions littéraires et créations artistiques et enfin celle de la pluralité linguistique et des réformes éducatives. 

Dans l’effervescence de ces réflexions et actions, il est ainsi urgent d’élaborer un cadre clair et prévisible, dans lequel il est critique de croiser différents perspectives : celle des questions de droit institutionnel et juridique, celle de la reconnaissance et valorisation de différentes formes d’unités linguistiques, celle de tous les locuteurs ainsi que l’ensemble de la communauté éducative et des acteurs de la chaîne pédagogique et enfin celle de la problématique de l’aménagement linguistique inscrit dans un écosystème de langues et respectueux de la diversité linguistique et culturelle. Tout en s’inspirant de diverses pratiques et expériences dans les pays, il convient par ailleurs de considérer les différentes dimensions de la problématique de l’éducation multilingue dans un contexte adapté au niveau national et aux variations régionales ou locales souhaitées.